"J'aurais bientôt l'âge de mon père, je le regarde avec amour et tendresse".

"Les guerres de mon père", de Colombe Schneck, sorti il y a quelques mois en librairie, est un livre
qui me touche par la force et l’optimisme que dégage le personnage central, Gilbert Schneck.
L’attirance immédiate pour la photo de couverture a dicté l’achat de ce livre.
Que dégageait cette photo en noir et blanc sur laquelle on voit Colombe, triomphante, tout
juste deux ans, trônant sur les épaules de ce père protecteur, rieur, heureux d’être avec sa
princesse?
Ce livre est une ode d’amour à ce père qu’elle a tant aimé, idéalisé, parti beaucoup trop tôt, emporté
par la maladie.
L’histoire de Gilbert Schneck, est celle des juifs d’Europe de l’Est, avec ses persécutions, ses
pogroms, ses rafles, ses exterminations de masse.
Elle est aussi celle des Juifs de France et des conduites trop souvent lâches, ou trop rarement
glorieuses ou simplement dignes de ses citoyens.
Gilbert s’est toujours tu sur son histoire personnelle et n’a cessé de préserver ses enfants de ce
qui lui a tant manqué, l’amour paternel, la stabilité familiale.
Ayant été caché lors de la seconde guerre mondiale en Dordogne avec sa famille, il a été confronté
dès son plus jeune à la honte imposée par le bourreau d’être juif aux humiliations et aux bassesses
de l’être humain.
L’histoire de Gilbert Schneck est une histoire que l’on tait, non pour oublier mais pour essayer de
mieux avancer dans la vie.
Chez les Schneck, comme dans beaucoup de familles juives on ne parle pas des sommets de
l’abjection et de l’ignominie, de la monstruosité dont elles ont été victimes.
A travers, le regard de Colombe, qui grandit et qui finit par comprendre beaucoup de choses tues,
c’est l’image d’un homme solaire, doté d’un véritable appétit de vivre et d’une énergie débordante qui
se dresse.
Un appétit de vivre que sous-tend et qui masque très probablement, un désespoir fondamental.
L’écrivain décrit alors cet homme, son père, dont la devise a toujours été « créer vous de beaux
souvenirs, car ce qui est bon et beau ne peut durer ».
Véritable jouisseur de la vie, Gilbert avait un don particulier de rendre belle la vie de ceux qui
l’entouraient.
Ce sont justement « ces choses qui fâchent » ces drames et ces douleurs qu’on tait tant sur lesquels
l’écrivain va enquêter.
Il y a dans ce livre deux femmes qui écrivent:
La journaliste qui mène l’enquête, qui consulte les archives de Vichy, celle qui se penche sur les
tortures qui ont été menées lors de la guerre d’Algérie par l’armée française et dont Gilbert a été
témoin, aux premières loges, lorsque, en tant que médecin, il dut soigner des hommes ignoblement
torturés, puisqu’ils étaient obligés de comparaître indemnes devant les tribunaux français et taire
leur calvaire.
Et puis il y a la fille, celle qui brosse le portrait plus intime de ce père qui n’a cessé de mener,dans le
silence, toutes ses guerres sans jamais parler de ses blessures.
Cet homme qui a voué sa vie à ses enfants mais qui s’est toujours dispersé en amour et n’a jamais
vraiment su aimer une femme.
Même si la nostalgie du père idéalisé qu’elle confronte petit à petit à un père réel se ressent à chaque
page, Colombe, aujourd’hui adulte, a besoin de rompre avec cet homme qui l’a tant aimée pour
enfin exister.
En affrontant « ces choses qui fâchent », elle peut enfin se construire et embrasser son héritage.
On sent le courage, la détermination, le temps qui lui a fallu pour démêler le vrai du faux, pour, sans
doute, enfin, faire son deuil.
J’ai aimé la franchise de son écriture, la curiosité qui ne lui fait jamais défaut même quand la
vérité fait parfois très mal.