«Ce récit est d’abord un conte".

S’ils n’existaient pas, il faudrait les inventer.
Edgar et Ludmilla est l’histoire d’un couple, de deux personnalités, qui se
rencontrent très jeunes, encore inexpérimentées et qui à travers le temps, les
expériences qu’ils font et les connaissances qu’ils acquièrent, changent
énormément.
A travers leurs parcours, ils reflètent la France des Trente Glorieuses.
Cette France où tout est encore à faire, possible, cette France où tout est encore
permis.
Ces deux personnages, dont les racines sont si éloignées, lui un peu paumé, un
peu perdu, elle, jeune villageoise dans l’ex-union soviétique, vont se rencontrer,
vivre un coup de foudre aussi bref qu’intense, et finir par se marier, se quitter, se
remarier et ainsi jusqu’à la fin de leur vie, d’où le titre du livre.
A travers leur histoire personnelle, leur carrière, celle d’Edgar, qui, après avoir
rencontré de nombreux échecs, finit par devenir le self-made man, une sorte
de Bernard Tapie des années 80, et Ludmilla, qui, pendant des années,
peine à devenir une des plus grandes cantatrices du 20ème siècle, le lecteur est
invité à suivre les différentes phases de leurs vies, l’insouciance liée à leur
jeunesse, où on les découvre encore fragiles et naïfs mais
tellement attendrissants, puis la trentaine, la quarantaine, où l’égocentrisme, la
construction de leur carrière prend le dessus, à tel point qu’ils en deviennent des
monstres d’égoïsme et puis la cinquantaine où les ennuis commencent, les
désillusions s’accumulent, les trahisons, les regrets et jusqu’à la mort qui les
séparera définitivement.
Ce qui m’a plu dans ce livre, même si le début, est un peu long, ce n’est pas leurs
séparations et leurs retrouvailles qui, je trouve, sont un peu faciles et très de
l’ordre du roman de gare, mais davantage le fait qu’à chacun de ces moments, les
deux personnages sont différents, encaissent le choc du temps, les répercussions
de ces secousses historiques, qui de façon, directe ou indirecte, influent sur leur
vie.
Oui le livre est un peu cliché, un peu léger, mais n’est-il pas le témoignage d’une
société qui pendant 30 ans , nous rappelle qu’à une certaine période tout etait
encore possible à partir du moment où on jouait le jeu ?
Bien-sûr il fallait avoir un peu de chance mais c’était une société où le rêve était
accessible à tous et où, à partir d’un rêve, on pouvait construire une vie.
On peut se poser la question à travers ce roman, dont les personnages sont
complètement fictifs mais tellement vivants, qu’en cours de lecture j’ai recherché à
plusieurs reprises qui se cachait derrière Ludmilla, si le temps qui passe
n’a pas eu raison des rêves de jeunesse de Rufin, qui a eu un rôle fondateur dans
l’humanitaire pour terminer, momentanément, comme grand imprécateur de
la France Insoumise.
Période des années 70, pleine d’idéalisme dont Rufin faisait partie et aujourd’hui
dénonçant, à juste titre, une société dans laquelle le rêve, l’espoir, n’ont plus de
place., où la pauvreté et l'injustice sociale gagnent chaque jour du terrain.
J’ai aimé la postface de ce livre.
L’écrivain se livre, avec honnêteté, sur l’histoire qu’il raconte, qui est un peu la
sienne, mais qui par le biais de la fiction, lui donne plus de facilité pour se
raconter.
Lui aussi a connu plusieurs divorces et mariages avec la même femme.
« Je n’aurai pas eu le courage de briser cette convention en racontant directement
ma propre histoire.
L’aveu chez moi prend toujours le masque de la fiction. En projetant sur des
personnages des passions que j’ai éprouvées moi-même, je me délivre de toute
inhibition, j’écarte la pudeur et accède à la liberté du créateur. »
C’est tellement séduisant de se raconter, de se mettre à nu, à travers une fiction.
Quelle liberté, celle d’être écrivain.
A travers ce roman, j’ai senti le plaisir que prend Rufin à se
dévoiler à demi-mots.