« Une œuvre découverte par hasard, par erreur, à moins d’y voir la main réparatrice du destin".

Elle était digne, elle était courageuse, audacieuse, imprévisible,
et tenace surtout.
Vivian Maier, est née du mauvais côté, celui des perdants, et dès
l’enfance, ne fut jamais épargnée par la vie.
Une vie sans amour, une famille défaillante, où les coups
pleuvent et où l’alcool fait trop bon ménage avec la misère
humaine.
Une enfance, ballotée, malmenée, qui va engendrer un des
plus grands génies de la photographie.
Avant-gardiste, Vivian Maier est libre, elle mène la vie qu’elle
s’est choisie, une vie calme, modeste, trop parfois, une vie
bancale lui permettant de fuir cette éternelle folie familiale qui
l’a tant secouée.
Derrière cette femme banale, se cache une personne, une
photographe hors du commun, qui en quelques secondes, au
détour d’une rue, parvient à capter son modèle.
Pour échapper à son monde, elle se passionne pour la
photographie, et notamment celles des rues.
Avec Vivian, nous sommes aux antipodes de la photo posée,
du travail en studio.
Ces photos nous parlent de la saleté des rues, de la tristesse
des pauvres gens, du désespoir. Il y a des chaussures, trouées,
des vêtements tâchés.
Nos regards sont attirés par ce qu’elle nous montre, par ces
rues, ces visages, par ce flux de vie sans cesse renouvelée,
par ce lien si étrange,si bref et pourtant si captivant qui se crée
entre le photographe et son modèle.
A travers les yeux de l’artiste, j’ai ressenti le désespoir chez
ceux qu’elle photographie, qu’elle reconnaît en une fraction de
seconde et qu’elle parvient à fixer sur la pellicule.
« Voilà sa force, »me suis dis-je.
« Il faut avoir beaucoup vécu soi-même, connu la dureté et le
difficile de l’existence, pour reconnaître ainsi en quelques
secondes, dans un geste, dans un visage, dans un détail, le
déroulement de toute une vie. »
Elle qui vient d’un monde semblable, qui s’est moyennement
insérée dans la société, elle est la seule qui peut capter ce
moment intense et si bref, cet échange de regards tellement
désespérés et déçus par la vie.
Toute sa vie Vivian a photographié. Elle n’a pas arrêté, un jour,
une heure, une minute, une seconde.
Travaillant comme nounou chez des familles très aisées, elle
me fait penser à la « Marie Poppins des riches » qui
photographie tout ce qui bouge.
Elle a été aimée et détestée en tant que nounou.
Concernant son travail, elle n’a jamais, tout simplement,
cherché à le rendre public, jamais une exposition, car n’ayant
jamais bénéficié d’attention, elle ne l’a pas recherchée.
C’est à travers un autre regard, avec cet autre médium qu’est la
photographie, qu’elle a décidé de donner un sens à sa vie.
Et le résultat est bluffant.
Ce qui est révoltant pour la lectrice que je suis, qui, à côté de
mes critiques littéraires, vit constamment dans le milieu de l’art
puisque c’est mon métier et que je connais donc bien, et
presque incompréhensible, c’est son besoin manifeste de rester
dans l’ombre et de ne pas chercher à promouvoir son travail.
« Finalement, seul le geste donna un sens à sa vie, la sauva
sans doute du désespoir, peu importe la gloire, la
reconnaissance. »
« Quelle grande dame vous fûtes… »
Dans une période comme la nôtre, où les égos
surdimensionnés se confondent, s’entrechoquent où les
biceps se gonflent, où tout n’est que volonté de réussite et de
clinquant comme passe-partout dans la vie, et où la plupart
des gens n’en finissent pas avec cette quête insatiable
d’approbation, de reconnaissance, d’admiration, Vivian Maier
est libre, authentique.
Elle vit, elle voyage, élargit ses visions, s’ouvre au monde,
même si en société, elle reste un oiseau rare, un peu sèche,
revêche même parfois.
Ses photos mettent à nu ceux qui se trouvent devant l’objectif,
le dialogue est immédiatement instauré, le clic les pousse en un
quart de seconde à se démasquer.
J’ai adoré ce livre.
« Difficile, raconte l’auteur, de retracer l’histoire
de Vivian Maier.
Une femme si secrète, si compliquée, si mystérieuse, comme
toute la famille dont elle est issue ». Une vie obscure, à propos
de laquelle les témoignages sont aussi contrastés que pouvait
l’être son caractère.
Difficile d’écrire sur une femme qui n’a jamais parlé de ce
qu’elle faisait, qui n’a jamais raconté d’où elle venait et dont les
photos n’ont été découvertes qu’en 2009 par le plus pur des
hasards.
Lors d’une vente aux enchères assez insignifiante, un jeune
homme, John Maloof, achète une boîte contenant des milliers
de pellicules et de films. En découvrant le travail de Vivian
Maier, il décide de rendre hommage à la femme et à son génie,
en lui offrant, une deuxième vie.
Au fil du temps, il reconstitue son parcours, rencontre des gens
qui l’ont connue, récolte des témoignages.
Il lui offre enfin une reconnaissance mondiale tardive qu’elle n’a
pourtant jamais recherchée dans sa vie.
J’ai été touchée par cette femme, que l’auteur a essayé
d’approcher au plus près, le plus dignement possible.
Prise de curiosité, je suis allée rechercher son visage sur internet.
Son austérité, ce visage qui ne sourit jamais, ce look un brin
désuet et ce chapeau qui, comme une crêpe ramollie ne la
quitte jamais, m’ont sauté aux yeux.
Cette femme n’a jamais essayé de séduire, de capter
l’attention, si ce n’est de ceux qu’elle avait en face d’elle,
heureusement toujours protégé par l’image, le clic…
« Elle ne cherche ni à plaire, ni à se plaire, mais peut-être
seulement à vérifier sa propre présenc eau monde. »
Voilà ce qui fait d’elle une si grande artiste.
Et une grande dame!
Qui a sans doute cherché à se réparer en
photographiant des êtres humains qui lui ressemblent.
"Malgré la misère, la vie reste possible."
Vivian en est la preuve
A découvrir, si vous ne connaissez pas son travail, dans
lesmotsdanouk.com.