"C'est comme si cette origine juive était une grosse valise qu'il allait falloir se trimballer".

En terminant la lecture du Ghetto intérieur de Santiago H. Amigorena, je me suis posée la question de
savoir pourquoi ce livre n’avait-il pas été nommé au Goncourt car pour moi il est le livre est le plus
remarquable de la rentrée littéraire.
Avec justesse et pudeur l’écrivain raconte l’histoire de son grand-père, Vincente Rosenberg, dont le
secret n’a cessé de le hanter tout comme il a hanté ses descendants depuis plus de 70 ans.
Vincente décide en 1928 de quitter la Pologne pour l’Argentine afin de fuir l’antisémitisme.
Très vite, Vincente fait sa vie, construit sa carrière et rencontre une femme, Rosita, qui deviendra son
épouse et lui donnera trois merveilleux enfants.
Quand Vincente quitte sa Pologne natale c’est avant tout pour fuir une situation qui sent le souffre depuis
toujours.
Sa mère et son frère ne le suivent pas à l’époque et c’est presque avec soulagement qu’il les laisse au
pays, tant il est à la recherche d’une nouvelle vie, avide d’un nouveau souffle de liberté, loin de cette
mère étouffante et de cette Pologne vivant ses dernières heures de gloire.
Sans tristesse ni regrets de ce qu’il laisse derrière lui, le jeune Vincente se réjouit de cette nouvelle vie
qui s’offre à lui.
Le livre nous fait découvrir les joies de ce pays qu’est l’Argentine, pays de cocagne où les juifs vivent
tranquillement, l’économie est en plein essor et les journées accablantes de chaleur sont rythmées par
les siestes, les rencontres au café du coin où on tape le carton ou joue au billard.
Il fait bon vivre en Argentine.
Très vite, Vincente plonge dans l’oubli de la Pologne, de sa mère et de son frère, ce que sa femme lui
reprochera lorsque la situation des juifs en Pologne deviendra intenable.
Il est déjà trop tard lorsqu’il commencera à s’inquiéter du sort de sa mère et de son frère.
Ce qui m’a intéressée, et surtout bouleversée, dans ce livre, c’est la façon dont le jeune homme va
découvrir petit à petit son identité juive qui a été comme oubliée dans l’exil.
En effet, quand il quitte la Pologne, il est avant tout polonais, admire les plus grands écrivains allemands
et ne se sent pas plus juif qu’un autre.
Il est dans l’oubli. Etre juif est pour lui non signifiant à ce moment-là.
Très vite la situation en Europe se dégrade dangereusement.
Les juifs sont persécutés et de là où il se trouve Vincente ne peut rien faire pour les siens.
Les contacts épistolaires qu’il entretient avec sa mère se font de plus en plus rares, les nouvelles sont de
plus en plus alarmantes, Vincente envisage tout pour faire venir les siens en Argentine avant qu’il soit
trop tard, mais il ne fait rien.
Malheureusement le temps joue contre lui et progressivement le jeune homme s’enfonce dans une
dépression lente qui finira par le faire se terrer dans un silence éternel, tant la culpabilité d’avoir laissé les
siens ne cessera de le ronger.
Le Ghetto intérieur c’est ce silence dans lequel Vincente va se plonger. Impossibilité de sortir de cette
tristesse qui va le dévorer jusqu’à la fin de ses jours et abîmer du même coup toute sa famille par la
privation de ce père aimant qui deviendra un être hagard, perdu dans la torpeur de sa détresse.
J’ai rarement lu de si belles pages consacrées à l’identité juive, à l’exil, à la persécution réveillant en
chacun une identité souvent ignorée, ou même délibérément oubliée, afin de se fondre dans la masse et
ressembler aux autres mais qui, finalement, finit toujours par ressurgir de plein fouet.
Car, en définitive, que reproche-t-on au juif ? De ne pas s’assimiler ? De rester dans un entre soi ? Mais
lorsqu’il est intégré et fait partie du monde qui l’entoure, il est injustement jalousé, détesté.
Il n’a, au bout du compte, pas de place.
Quand l’écrivain Santiago H. Amigorena est passé il y a deux semaines chez Ruquier j’ai été déçue par
la façon dont le livre a été présenté.
D’abord parce qu’il a été relégué à la toute fin de l’émission, et surtout parce que en minimisant le
problème juif, car politiquement incorrect dans les temps qui règnent, le présentateur est passé à côté de
l’essentiel : l’impossible choix entre l’assimilation du juif qui entraîne tôt ou tard une détestation, une
jalousie par le monde qui l’entoure et la fidélité à la communauté, restant parmi les siens, qui engendre
un sentiment de méfiance, de peur, par rapport à ce qu’il représente.
Le juif a toujours fait peur, qu’il s’assimile ou pas!
Et dans le monde actuel, cet antisémitisme que relate cet ouvrage fait malheureusement terriblement
écho à ce que nous vivons aujourd’hui.
A méditer.
Je me suis posé une question : à quoi servent les Goncourt qui n’ont pas même nommé ce livre avant
de l’éliminer, négligeant une œuvre puissante qui pose des questions importantes et donne à réfléchir.
A quoi bon couronner un auteur connu et reconnu, et j’aime bien ce qu’écrit Jean Paul Dubois, quand un
quasi inconnu du grand public donne un livre absolument remarquable ?
Dans mon souvenir, le Goncourt était destiné à soutenir et encourager un jeune auteur.
Nous sommes, depuis bien trop longtemps, bien loin du compte !